Edito de la SFSP "La santé publique en France à l’épreuve de la COVID-19" dans le n°01/2020 de la Revue Santé Publique
Nous voici confrontés à une pandémie d’une ampleur inédite depuis un siècle. La dissémination du nouveau virus SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) dans la population a provoqué une vague importante de recours aux soins, en particulier d’hospitalisations, qui a mis et met encore les systèmes de soins et de santé sous tension. La surmortalité attribuable à la COVID-19 est importante dans les pays où elle peut être évaluée. En France, l’épidémie fait apparaître, d’une façon particulièrement crue, les failles maintes fois énoncées par les acteurs de la santé publique, parmi lesquelles la trop faible place laissée à la prévention, le cloisonnement entre les divers champs de la santé (soin, prévention, psychosocial…) et la défaillance des dispositifs de coordination entre leurs intervenants ou encore l’insuffisant recours aux données probantes et aux instances de concertation en santé dans la décision et la définition des interventions. Le traitement politique de l’épidémie, lui, rend visible la cécité dont sont frappés tant de responsables en matière de promotion de la santé.
Si la pandémie a entraîné – situation sans précédent – le confinement à domicile de la moitié de l’humanité, les mesures prises désormais dans un grand nombre de pays visent à sortir progressivement de cette situation. La période qui s’ouvre est pleine d’incertitudes, reflet de nos connaissances et méconnaissances, sur le virus lui-même, sa physiopathologie ou sa pathogenèse, sur les ressorts de sa dissémination en population ou sur les stratégies de riposte les plus efficaces. Dans ce contexte, et jusqu’à à ce qu’un vaccin ou des médicaments – à visée thérapeutique ou préventive – soient disponibles, nous devons nous préparer à vivre avec ce nouvel agent infectieux et à réduire ses répercussions sur la santé des populations, malgré toutes les incertitudes qui l’accompagnent.
Si la survenue de cette pandémie a pris de court de nombreux gouvernants, nous ne sommes pas démunis, à l’échelle collective, pour y faire face. Nous devons tirer les leçons des épidémies passées et des réponses qui y ont été apportées, dans toutes les dimensions de la santé publique : surveillance, accès universel à la prévention et aux soins, renforcement des soins de santé primaires, leadership institutionnel, mobilisation sociale, accès aux thérapeutiques innovantes, attention renforcée aux inégalités sociales de santé, vigilance quant au respect des droits des personnes et des libertés fondamentales, coordination des acteurs aux échelles mondiale, continentale, nationale et locale.
Face à cette situation qui s’installe pour plusieurs mois, les acteurs de la santé publique doivent réaffirmer leurs valeurs, choisir des stratégies cohérentes avec celles-ci et mobiliser les acteurs concernés à travers :
- Une pédagogie approfondie : Face à une situation extraordinaire qui n’a pas été suffisamment anticipée, nous avons besoin d’une stratégie de communication loyale, transparente, fondée scientifiquement et adaptée aux différentes populations. L’incertitude est intrinsèque à un tel moment historique ; l’accepter comme telle afin de la partager met chacune et chacun en position d’acteur de sa santé et de celle des autres. Les autorités doivent dire ce qu’elles savent, mais aussi ce qu’elles ignorent, tant sur le virus, ses modes de transmission et sur la maladie elle-même que sur l’ensemble des conséquences économiques, sociales et environnementales de la pandémie et des mesures engagées pour la juguler, comme le niveau de disponibilité des outils de dépistage ou des équipements de protection. Cette transparence est un impératif si l’on souhaite que les populations adoptent et maintiennent des comportements appropriés aux modes de transmission de la COVID-19, mais aussi qu’elles acceptent, à titre transitoire, les mesures restreignant leurs libertés individuelles pour un bénéfice collectif. La communication des autorités doit donc s’appuyer sur des faits et sur les dernières données scientifiques disponibles, sans prétendre en affirmer d’autres pour occulter toute l’incertitude inhérente au caractère inédit de la pandémie. Mais elle doit dans le même temps permettre à chacune et chacun de comprendre les stratégies de santé publique envisagées en l’état actuel de la science et des possibilités concrètes qui s’offrent à nous pour les bâtir, notamment pour ce qui concerne la disponibilité de tests de dépistage ou d’équipements de protection. Ceci est à la portée des citoyens dès lors que l’on s’adresse à eux comme à des adultes capables de prendre des décisions éclairées. Les médias jouent également ici un rôle extrêmement important sur lequel il conviendrait de s’interroger ;
- La mobilisation des dispositifs collectifs de prévention : si la vague de recours au système de soins, notamment hospitalier, a menacé de déborder ses ressources humaines et matérielles, c’est aussi parce que la prévention est à la peine. N’oublions pas de soutenir la mobilisation de nos dispositifs collectifs : protection maternelle et infantile, santé scolaire et universitaire, santé au travail, « dispensaires » ou centres de santé de tous ordres (planning familial, prévention des addictions, santé sexuelle…). Leurs initiatives abondent, il faut les conforter dans les prochains mois, notamment pour éviter ou atténuer d’autres vagues. Sans oublier les soins de santé primaires, qui sont en première ligne de cette mobilisation : fortement sollicités pour accueillir et orienter les malades, ils sont aussi actifs en proximité, dans les territoires et les quartiers, en lien avec une grande diversité de mobilisations associatives et des collectivités territoriales pour essayer d’endiguer le flot. Ils assurent, aussi, la continuité des soins aux personnes vulnérables ou atteintes de maladies chroniques ;
- Le renforcement responsable de la promotion de la santé et de la santé communautaire : pour lutter efficacement contre l’épidémie, il s’agit de redonner au plus grand nombre la capacité de reprendre en main sa vie et sa santé, de se protéger et de protéger les autres, de son cercle de très proches à la communauté tout entière. Les citoyens respectent les mesures de prévention lorsqu’ils en ont compris l’importance, qu’ils sont associés à leur adaptation et à leur diffusion locale. Pour cela, il faut leur parler sans les infantiliser, leur permettre de prendre des décisions éclairées et d’en être les ambassadeurs. L’adhésion peut alors fonctionner tandis que la répression inhibe toute forme d’engagement. Ce changement massif de comportement nécessite des messages clairs et appropriables : au lieu d’émettre des injonctions perçues comme paternalistes, il faut miser sur les compétences existantes dans la population. La capacité d’agir n’est pas qu’individuelle, elle se nourrit de compétences collectives. Tous les acteurs sociaux sont concernés et mobilisés : soutenons le monde associatif, le secteur social, les acteurs de l’éducation, les professionnels du secteur médicosocial et des soins primaires… C’est à l’intérieur, mais aussi largement hors de l’hôpital que la pandémie est combattue. Pour cela, les savoirs des sciences humaines et sociales, comme ceux des sciences du vivant, doivent être convoqués ;
- Une attention accrue pour les situations de vulnérabilités : certains groupes de population subissent de façon brutale l’impact de l’épidémie et des mesures prises pour la contrôler. Ce sont des publics invisibles ou relégués, et souvent catégorisés sans nuances : personnes âgées, personnes isolées, personnes malades chroniques ou en situation de handicap, malades psychiatriques, personnes incarcérées, sans domicile fixe et mal logées, usager.ère.s de drogues, travailleur.euse.s du sexe, étranger.ère.s sans papiers… N’oublions pas non plus tous ceux qui peuvent avoir besoin de soins pour une autre raison que la COVID-19, que ce soit dans le cadre d’une urgence médicale (accident vasculaire cérébral ou cardiaque, grossesse extra-utérine…) ou au quotidien, pour le suivi de leur maladie chronique, de leur handicap, ou un état anxiodépressif. La résistance de la première ligne est essentielle non seulement pour endiguer l’épidémie, mais également éviter qu’elle ne réapparaisse sous une autre forme par une négligence chronique envers les plus vulnérables ;
- l’élaboration d’une réponse pour ici et là-bas : la pandémie touche la quasi-intégralité des pays, et la crise s’étend à ceux dont les ressources sont limitées. Elle va frapper des systèmes de santé parfois fragiles ou fragilisés par de précédentes épidémies, comme provoquées par le virus Ebola. Certains pays bénéficieront peut-être cependant, plus que le nôtre, des leçons apprises au cours de ces batailles passées. Une pandémie nous rappelle la communauté de destin de l’humanité toute entière. C’est ensemble que nous devons faire face, en partageant les victoires, mais aussi les échecs de nos stratégies de riposte. C’est à l’échelle mondiale que nous devons penser l’approvisionnement en ressources indispensables pour la prévention et le soin mais également pour leur accessibilité, notamment financière. La pandémie doit également être une opportunité pour lever les freins qui existent en matière de pilotage et de coordination des politiques de santé à l’échelle mondiale ;
- L’anticipation des prochains épisodes épidémiques : le temps viendra où il faudra revenir sur l’insuffisante préparation de notre pays à la réponse apportées aux crises sanitaires et sur les difficultés logistiques qui ont été traversées. Un large exercice de « retour d’expérience » devra occuper tous les acteurs du système de santé, afin de documenter les lacunes de nos réponses face à cette urgence sanitaire et dans l’accompagnement de ses implications sociales. L’exercice est d’autant plus important que de nouveaux agents pathogènes continueront d’apparaître et de provoquer les maladies infectieuses dites « émergentes ». La situation que nous vivons aujourd’hui n’est pas inédite et, ainsi que le prédisent nombre de scientifiques, devrait se reproduire. Si nous souhaitons nous préparer à être en capacité d’amortir le choc que constitueraient de nouvelles pandémies, nous devons poursuivre, de manière globale et interdisciplinaire, la réflexion sur leur prévention, mais aussi sur la capacité de nos systèmes de santé à y faire face. La prise de conscience des liens étroits entre santé publique et enjeux économiques et sociaux est notamment un levier pour nous faire entendre des pouvoirs publics.
En situation de crise sanitaire, nous avons plus que jamais besoin d’une approche globale et démocratique de la santé. La survenue de cet événement inattendu, d’une ampleur exceptionnelle, a mobilisé en première intention les dispositifs publics de gestion de crise, pensés dans la verticalité. Cela peut se comprendre. Cependant, l’importance du retentissement, sur les sociétés, de l’épidémie et des mesures de réponse, la perspective de son prolongement dans le temps, la préparation de la sortie de crise et, surtout, de l’après-crise appellent l’implication d’une grande diversité d’acteurs sociaux. En France, la démocratie en santé est née de crises successives qui ont ébranlé notre système de santé. Elle peut être aujourd’hui notre recours pour limiter l’impact social de l’épidémie et pour penser « l’après », qui amènera son lot de transformations sur le plan sanitaire, mais également social, économique et anthropologique. Elle doit être la pierre angulaire de l’élaboration de nos réponses collectives, maintenant et dans l’avenir.
La Société française de santé publique
L'édito est également disponible sur Cairn, ainsi que l'ensemble des articles du n°01 Volume 32 de Santé Publique. Pour lire le sommaire, se référer à l'article de la SFSP.